De l’auto au vélo, de quatre à deux roues
Les parallèles entre la photographie de rallye et le cyclisme sont nombreux. Aucun photographe de rallye ne peut être insensible à ce qui se fait en cyclisme : il s’agit là du même subtile mélange entre paysage et action, pimenté par les éléments, la météo, la lumière changeante, la poussière, et surtout la rencontre entre des athlètes de haut niveau et la vie de tous les jours, dans les villes, les villages, la campagne, la nature, le public.

Plus habité à trainer mes chaussures de marche dans les chemins sardes ou les montagnes corses, mon expérience des courses cyclistes se limitait jusque là à quelques clichés pris sans prétention lors de l’édition 2019 du Paris-Roubaix. Pour le reste, je me suis toujours contenté de suivre les grosses courses à la télé, et suivre attentivement les aventures de quelques photographes de renom dans le domaine : Jered et Ashley Gruber, Pauline Ballet, Alex Broadway, Léon van Bon pour n’en citer que quelqu’un(e)s.
Mais déjà cette fascination pour l’enfer du Nord (cette terre de cyclisme qui est aussi ma région d’accueil, moi l’exilé Lorrain) est bien là. Après tout, le Paris-Roubaix, c’est le Monte Carlo du circuit cyclisme, le monument à la fois mythique, intimidant et impitoyable, autant sur les pédales que derrière l’objectif ; rien de plus excitant comme défi. Tout vient alimenter le parallèle : les endroits chargés d’histoire devenus emblématiques (col de Turini Vs trouée d’Aremberg), les conditions précaires (le verglas Vs la boue sur les pavés) ou encore la foule qui viens s’amasser religieusement autour des épreuves spéciales Vs secteurs pavés.


Lorsque Jean-Charles me demande si je peux couvrir les exploits de son équipe sur Paris-Roubaix Challenge, je n’hésite pas une seconde. Je connais Jean-Charles, il fait les choses comme un pro, et même si le but principal est de s’amuser, il y a là une belle occasion de se frotter à un monument, avec toute l’humilité qu’il se doit bien sur, mais comme pour de vrai !
Samedi 16 Avril, je pars de chez moi à 6h00 du matin. Le temps de faire la route jusqu’à Roubaix avec un petit détour de « reconnaissance » sur un des secteurs pavé, me voila devant les portes du dépôt des Tissus Papi. Il y a cette même ambiance de début de rallye, cette excitation mêlée à la fraîcheur matinale du mois d’Avril.
Les six protagonistes arrivent au compte-goutte pour se préparer. Ça enfile les maillots et chaussettes imprimés à l’effigie de Papi Cycling et ses partenaires. Ça ajuste la pression des pneus entre chaque allée du dépôt. Le dépôt… une ambiance à faire pâlir les douches du vélodrome ! Le ton est donné.


Une petite mise en jambe sur le kilomètre qui sépare le dépôt du vélodrome de Roubaix, et les choses sérieuses commencent. Pour autant, au moment d’agrafer les dossards ou de caler ses pédales automatiques, les sourires sont de mise. Ajoutez à cela une petite lumière douce de printemps et il y a déjà de quoi remplir des cartes mémoires (en tout cas certainement plus facilement qu’à essayer de faire des portraits d’un pilote de rallye estonien en train de régler son baquet de course !).


9h00 le départ et la course commence pour mes six pilotes et leur assistance volante, mais aussi pour moi. Même si les routes du parcours restent ouvertes pour ce Paris-Roubaix Challenge (contrairement aux courses pro), suivre la course en sauts de puce n’est pas évident. Les milliers de participants, bien qu’étalés sur 3 parcours différents et sur des horaires décalés, ne facilitent pas la circulation et sont même parfois plus rapides qu’en voiture dans les agglomérations. Et je ne suis pas à l’arrière d’une moto, donc il faut se frayer un chemin tant bien que mal. Heureusement, la tunique Papi Cycling se distingue parfaitement des autres et donc il est plutôt facile de les repérer dans le peloton.
Très rapidement, mon programme tombe à l’eau. Le premier spot en sortant de Roubaix est anéanti par une déviation mise en place sur un passage à niveau. Comme toujours, il va falloir improviser. Et les occasions de retrouver les copains en action ne seront pas si nombreuses que cela. D’autant que les secteurs pavés sont concentrés sur la deuxième partie du parcours, et qu’il faut assurer l’arrivée sur le vélodrome avec les aléas qui vont avec (accès et stationnement). Comme en rallye, la préparation est primordiale, et le fait d’avoir repéré sur Google Street View tous les points importants du parcours aide beaucoup. Même si rien de remplace une reconnaissance en vrai comme j’ai l’habitude de la faire en rallye, on gagne un temps précieux sur le parcours. Une longue ligne droite dégagée dans les champs et une ruelle bordée de vielles granges de brique rouge feront l’affaire avant d’attaquer ce qui fait l’essence même du Paris-Roubaix : les pavés.


Premier secteur pavé, juste après le ravitaillement, celui de Templeuve et le moulin de Vertain en arrière plan. J’étais venu ici en 2019 (pour y voir Philippe Gilbert construire sa victoire) et j’espérai y trouver du colza pour la petite touche colorée à l’avant plan, mais il n’en fut rien. Cela dit, l’endroit est plaisant, même à contre-jour. Le pavé n’est pas celui en meilleur état et même sur le sec, il ne semble pas évident de passer la puissance au sol ! Pour cadrer le moulin, il faut se tenir au bord de la route, et paradoxalement, cette courte distance fait défiler le sujet beaucoup plus rapidement dans l’objectif par rapport à une Hyundai i20 WRC ! L’équipe est regroupée, donc il faut une petite dizaine de secondes pour rentrer tout le monde dans la boite.


Tout juste de temps de traverser le champs en courant pour retrouver la voiture, et la course poursuite continue, direction le carrefour de l’arbre. Pas une seule année sans un tweet ou un post Instagram de JC sur ce juge de paix de la course, il était donc donc hors de question de passer à côté. Alors bien sur, l’ambiance n’est pas aussi délirante que le Dimanche pour la course pro, mais la longue ligne droite avant le carrefour est idéale pour saisir, avec une grosse focale, l’intensité de l’effort. Nous sommes en fin de secteur pavés, et les mollets semblent à vue d’œil déjà bien durs. C’est aussi l’occasion de faire des plans un peu plus serrés de nos six athlètes en action.


Le plaisir de shooter est bien là, d’autant que les conditions sont favorables, bien plus qu’un rallye du Pays de Galles en Novembre ou un Monte Carlo en Janvier ! Je me plais à courir entre les pavés et la voiture pour ne pas perde une seconde.
Retour à Roubaix pour l’entrée sur le Vélodrome. Avec tous les concurrents qui ne cessent de passer la ligne, il faut se rendre à l’évidence que se garer proche ne sera pas possible. Je trouve une rue à mi-chemin entre le dépôt et le vélodrome avec une place disponible. C’est donc parti pour 10 minutes de marche rapide avec le 200mm dans les bras, un beau bébé de près de 2kg200. Très vite, je comprend qu’il va être compliqué de rentrer à l’intérieur du vélodrome car tous les accès sont bloqués en vue de l’ouverture au public pour l’arrivée de la course féminine plus tard dans l’après-midi. Après avoir tenté chacune des entrées, et donc baladé mes cailloux autour de tout le pâté de maisons, il aura fallu attendre une demie heure après l’arrivée pour enfin retrouver l’équipe autour d’une frite dans l’aire d’arrivée. Pas de photo de la ligne d’arrivée donc, c’était la seule fausse note de ce samedi. Cependant, elle n’entache pas cette belle journée.


C’était au final pour moi un samedi rafraichissant et enrichissant, à réfléchir à une autre manière de cadrer. Même si au fond, les réflexes du photographe restent les mêmes, cela fait du bien de changer d’univers le temps d’une journée, surtout quand c’est fait dans la bonne humeur. Tout devient si facile lorsque les choses sont faites comme des pros, mais sans réellement se prendre au sérieux. ce En réalité, ce ne fut pas vraiment une surprise pour moi de me prendre au jeu ainsi : pour l’avoir côtoyé durant quelques temps sur des aventures « motorsport », je savais que JC fait toujours les choses à fond, que ce soit sur 4 ou 2 roues. Rdv donc l’année prochaine !
Romain Thuillier
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